Témoignages de propriétaires

Qu’est-ce qui incite un propriétaire à aliéner certains de ses droits en faveur de la conservation? Dans les témoignages qui suivent, des propriétaires expliquent les motifs qui les ont amenés à signer une entente de servitude de conservation afin que des espaces naturels soient protégés à perpétuité. Ces témoignages sont présentés dans la langue d’origine.

Michèle Bernier

Lorsque, au début des années 1970, mon père a vendu son verger et les terres qu’il possédait sur le versant ouest du mont Pinacle, je lui avais demandé d’y conserver un lot d’une vingtaine d’acres situé en bordure du chemin Smith. Cette demande n’avait rien de rationnel ou mercantile car nous n’avions aucun projet de construction ou d’exploitation de ce lot. Cela relevait plutôt d’une sorte d’attachement à la morphologie du terrain qui comporte un joli plateau inséré entre une pente passablement abrupte et une baissière où serpente un ruisselet. Et puis, il y avait la légende du père Brasseur, un bûcheron solitaire qui, bien avant ma naissance, s’était construit sur ce terrain une cabane dont il ne subsistait plus que quelques vieilles planches et des tuyaux de poêle rouillés. Bref, mon souhait était sentimental et mon père, qui était un amoureux du Pinacle, ne se fit pas prier pour soustraire ce terrain à la vente.

Le temps a passé, je suis partie faire des études à l’étranger, mon père est décédé et j’ai retrouvé le terrain lors de randonnées à cheval. Ma mère, qui savait que j’y tenais beaucoup, a accepté de me le donner en héritage avant l’heure. Je n’avais toujours aucun projet pour « mon » terrain mais voilà qu’Hélène Leduc m’a approchée avec la suggestion d’une servitude de conservation à la Fiducie du mont Pinacle. J’étais de prime abord un peu récalcitrante car le mot « servitude » fait craindre d’être dépossédé de son bien à tout jamais. Hélène m’a bien expliqué que je resterais propriétaire du terrain mais que je devrais, bien sûr, accepter certaines restrictions dans l’usage des lieux. J’ai donc autorisé le Corridor appalachien à visiter le terrain et à y effectuer les inventaires nécessaires à l’élaboration d’un plan de conservation, surtout que mes voisins et amis, les Lanctôt, dont la propriété jouxte mon terrain, en avaient cédé une grande partie à la Fiducie.

Je suis littéralement restée sidérée par le plan de conservation que l’on m’a remis : une étude fouillée, solide, bien rédigée et illustrée de photos et de cartes. C’est un travail d’experts mais où l’on sent en même temps tout l’intérêt, pour ne pas dire toute l’affection, que les spécialistes portent à la forêt. J’ai découvert que mon terrain, qui regroupe plusieurs habitats naturels, fait partie d’un écosystème forestier exceptionnel, refuge d’espèces menacées ou vulnérables. Il fallait protéger cette richesse pour toujours et c’est ainsi que j’ai choisi de céder en servitude la plus grande partie du terrain à la Fiducie foncière du mont Pinacle. S’il est certain que je doive respecter certaines contraintes dans l’usage des lieux, j’ai tout de même facilement pu conserver quelques acquis comme la randonnée équestre dans des sentiers existants. La salamandre sombre du Nord et la grenouille des marais sont bienvenues chez moi et je sais que mon père serait fier et ému du geste que j’ai posé pour la protection de « son » Pinacle.

Claude Doucet

Claude Doucet

Lorsque Claude Doucet a acheté, en 1977, une terre sur le chemin des Érables, à Frelighsburg, le zonage agricole n’existait pas encore. Au début des années 1980, le mont Pinacle a été zoné vert parce qu’il s’agit d’une érablière et Claude s’en est réjoui étant ainsi assuré que les terres avoisinantes ne pourraient être loties et développées. Le caractère rural était protégé à long terme, croyait-il. En 1990, la Commission de la Protection du territoire agricole dézonait 800 ha de belle forêt pour accomoder un projet de développement de ski, golf et condos. M. Doucet s’est senti très concerné par cette situation et il a joint ses efforts à ceux des citoyens qui ont formé la Fiducie foncière du mont Pinacle(FFMP) et ont contribué au financement de l’achat des 59 ha sur la montagne.
C’est la crainte des changements de zonage qui a amené Claude Doucet à concéder une servitude de conservation en faveur de la FFMP. « Le zonage agricole est remis en question et les règlements municipaux peuvent être modifiés au cours des années. C’est donc sur les propriétaires que reposent la responsabilité et le pouvoir de mettre un frein à ces changements. Avec une servitude de conservation, on assure la protection des milieux naturels de sa propriété et cela, pour toujours. Nos héritiers ou les futurs propriétaires sont liés aux clauses de la servitude et la Fiducie verra à ce qu’ils respectent ce contrat.»

Monsieur Doucet espère que, par un effet d’entraînement, d’autres voisins de son secteur seront sensibilisés à la nécessité de protéger les espaces naturels. «Souvent les gens craignent que leur propriété soit dévaluée si une servitude vient en restreindre les droits d’usage. Moi, je suis convaincu du contraire. Je pense que si plusieurs propriétaires d’un même secteur s’engagent à protéger les milieux naturels, cela donnera de la valeur à tout le secteur. Quand quelqu’un achète et qu’il sait que son voisin ne pourra lotir sa propriété, c’est une plus-value!»

Marie Lanctôt Junger

Marie Lanctôt Junger

Marie Lanctôt Junger possède 86 ha sur le chemin Perkins, à Sutton. Sauf pour un espace d’une vingtaine d’hectares de prairies réparti de chaque côté du chemin sur une longueur de 400 pi, et comprenant sa maison et les bâtiments, sa propriété est grevée d’une servitude de conservation en faveur de la Fiducie foncière du mont Pinacle. Il s’agit d’une forêt mixte qui abrite deux espèces menacées : l’ail des bois et une fougère appelée dryoptère de Clinton. Un ruisseau traverse la propriété et on y a décelé la présence de la salamandre sombre du Nord, une espèce d’amphibien, elle aussi susceptible d’être désignée menacée ou vulnérable au Québec. L’inventaire biologique effectué sur le terrain a convaincu Marie de protéger cet espace exceptionnel.

« La terre souffre! Les hommes la malmènent, cherchant toujours à lui arracher ses richesses. Elle étouffe à cause de la pollution. Les arbres surtout subissent les pires assauts : on les coupe, on les brûle, on les arrache. Et moi, j’aimerais mettre ma petite goutte d’eau dans la mer en protégeant ce boisé qui fait mon bonheur. Le protéger pour que des générations futures puissent en profiter. Pour empêcher qu’il ait le même sort que tant d’autres qui font place à des maisons, à des champs en friche, à des automobiles, à des pylones.»

«La Fiducie foncière me permet de mettre ce boisé à l’abri pour toujours, grâce à une servitude. Seules sont permises des coupes de bois gérées par des ingénieurs forestiers qui ont à cœur la protection de la forêt. Et ainsi, tranquillement, se forme dans les Cantons de l’Est, une aire de protection de la nature qui s’agrandira au rythme des autres donations et servitudes. Peut-être la nature conservera-t-elle ses droits dans notre région? Et nos descendants bénéficieront de toute cette beauté qui nous enchante tant.»

Philippe Tatartcheff

Philip Tatartcheff

«I have granted a conservation easement on my property in order to preserve the integrity of the land, that is, the mixed forest and the stream flowing through it. Although it is only a few acres, I hope that this may set an example for others and so prevent destruction and control development in an area which is already widely inhabited.»

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